ESQUISSES



Voici la deuxième partie de mon récit.

Il faut avoir lu Parade pour comprendre Esquisses. Pour les besoins de mon histoire, j’ai pris la liberté d'emprunter leurs oeuvres aux artistes de cette époque si riche. Bonne lecture.




Vienne et Eva
Esquisses

Tamara de Lodz-Picka s’était littéralement jetée au cou de Vienne quand elle l’avait vue.

Elle était blonde aux yeux bleus et parlait le français en accentuant les “r” sur certains mots.

- Vienne, ma chérrrie, tu es à Paris ? Tu as réussi à échapper aux doigts crochus de ces sordides soldats allemands ? Quel bonheur ! Mais je dois te gronder !! Tu n’es pas venue tout de suite voir ta Tamara...
- Je suis arrivée à Paris aujourd’hui même...
- Et alors ? Tu aurais dû voler jusqu’à moi !! Oh... Mais je vois ce qui t’a retenue... Tu avais mieux à faire que de rendre visite à Tamara... Beaucoup mieux... Je te comprends... Me feras-tu la joie de me présenter ta délicieuse amie ?
Pendant qu’elle parlait, Tamara n’avait pas cessé d’observer Eva. Avec un sourire gourmand qui n’avait pas échappé à la jeune femme.

- Je te présente Eva d’Uberville-West. Eva est infirmière sur le front. Nous nous sommes rencontrées quand j’ai été légèrement blessée par un chasseur allemand, il y a deux semaines...
- Oh... tu as été blessée ? Ma chérrrie... Quelle horreur !!!
- Rien de grave... Je t’assure... Et puis... Eva m’a soignée...
Tamara se tourna vers la jeune femme.
- Merci chèrrre petite Eva... Merci d’avoir sauvé Vienne...  Infirmière...  J’adore les infirmières... Elles sont si... troublantes... D’Uberville... d’Uberville... Comme la banque du même nom ??
- C’est la famille de mon mari. Paul d’Uberville.
- Un mari ? Vous avez un mari ? répondit Tamara en jetant un regard étonné à Vienne.

- Je suis veuve... Paul est mort au combat en septembre 1914...
- Ooohh.... comme je suis désolée, chèrrrre petite Eva... Et bien ça nous fait un point en commun. Il y a six mois, mon époux Tadeusz - il était avocat - a été zigouillé par ces horribles bolcheviks. A Saint-Pétersbourg...
- Je suis navrée... Je vous présente toutes mes condoléances. Je comprends votre peine...
- Oui, merci chèrrre petite Eva. Tadeusz et moi étions séparés depuis plusieurs années déjà... Mais ça n’empêche pas les sentiments et le chagrin... C’était un ami adorable et un mari si... compréhensif...
- Compréhensif ?
Mais Vienne intervint - Tamara. J’ai dit à Eva que tu étais un peintre particulièrement doué et une remarquable cuisinière...
- Vienne chérrrie, tu es adorable de saluer mes modestes talents... Suivez-moi dans mon atelier, je vais vous présenter ma toute dernière création...
*
Elles suivirent Tamara jusqu’à une pièce aux larges fenêtres par lesquelles la lumière devait pénétrer à flots pendant le jour.

Elle servait d’atelier. Un chevalet et un petit bureau couvert de pinceaux et de tubes de couleurs occupaient son milieu.

Une toile dissimulée par un drap était posée sur le chevalet. Tamara s’en approcha et retira le tissu.

Deux femmes nues apparurent. L’une, blonde, était représentée de face, le genou gauche plié.

L’autre, brune, aux cheveux courts, était de dos. On ne pouvait pas voir son visage. Mais on pouvait admirer les courbes de son corps. La rondeur des épaules et des fesses, le galbe des cuisses, l’arc souple du dos.

Il ne faisait aucun doute que Tamara était la femme blonde. Elle le confirma.

- J’ai appelé ce tableau “les deux amies”. Pour la blonde, je n’ai pas eu trop de mal. Un miroir a suffit. Mais pour la brune, j’ai peint de mémoire... Hélas...
Vienne regardait l’oeuvre sans dire un mot. Au bout de quelques longues secondes, elle murmura - Bravo Tamara. Très réussi...
- Merci Vienne. Et vous, très chèrrre petite Eva ? Vous aussi, vous le trouvez... ressemblant ?
- Ressemblant ? Je ne comprends pas...
Devant le regard étonné d’Eva et celui, sombre, de Vienne,  Tamara comprit immédiatement son erreur. Zut, j’ai fait une bourde on dirait... Cette petite fille est aussi innocente que l’enfant qui vient de naître... Et il n’y a rien entre elles... Bon, je n’ai plus qu’à glisser avec légèreté... à autre chose...
Elle rejeta le tissu sur le tableau et dit d’un air joyeux - Bon. On l’a assez vu ! Il n’est pas terminé d’ailleurs ! Et si l’on passait aux nourritures plus terrestres. Une de mes amies m’a offert deux bouteilles d’un merveilleux Pommard...
*
Tamara s’était épanchée sur son passé, le vin de Bourgogne aidant.

La Pologne n’était pas un état indépendant. Mais un territoire partagé entre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et la Russie.

Sa riche famille vivait dans une partie de l’ancienne Pologne qui était sous domination russe.

Tamara se souvenait, avec nostalgie, de Varsovie et de Cracovie, de Saint-Pétersbourg et de Moscou.



Elle se souvenait des membres de la famille impériale, les Romanov que les Bolcheviks avaient massacrés quelques semaines auparavant, le 17 juillet 1918, dans une maison d’Iekaterinbourg.

Le tsar Nicolas, la tsarine Alexandra, leurs cinq enfants, le tsarévitch Alexis, les quatre grandes duchesses, Maria, Tatiana, Anastatia et Olga avaient été mitraillés dans les caves de la maison Ipatiev.

Avec eux avaient aussi péri, sous les balles ou achevés à la baïonnette, les derniers membres d’une cour dérisoire, la femme de chambre Demidova, le valet Troupp, le cuisinier Kharitonov, et le médecin Botkine.

Et tout ça lui faisait mal. Bien sûr, elle vivait à Paris,  “la plus belle ville du monde”, au milieu des poètes et des artistes. Mais elle avait mal.

Elle s’était mise à pleurer sur ses souvenirs de petite fille, la tête posée sur l’épaule de Vienne.

Alors la jeune femme l’avait aidée à gagner sa chambre où elle l’avait couchée.

- Vienne chérrrie, tu restes avec moi ???
- Non Tamara... Je vais raccompagner Eva chez elle...
- Mais après ? Tu vas revenir, n’est-ce pas ? Et tu vas rester avec moi... Cette nuit...
- Non Tamara. Je ne vais pas rester avec toi. Ni cette nuit. Ni une autre...
- Pourquoi ?
Vienne ne répondit pas.
- C’est Eva n’est-ce pas ? C’est pour elle que tu me fuies...
- Je ne te fuie pas Tamara. Toi et moi sommes amies...
- Oui... Amies. Mais, j’espérais tellement mieux...

Vienne avait ramené le drap sur Tamara. Puis elle avait déposé un baiser sur son front.

- Je vais te laisser à présent. Fais très attention. Les bombardements peuvent reprendre d’une minute à l’autre.
- Ne t’inquiète pas, Vienne chérrrie. Un abri a été installé dans les caves de mon immeuble. C’est très confortable. J’ai même un lit de camp. Il ne me faut pas plus de trois minutes pour y descendre.
- Parfait. Alors je suis rassurée.
- Adieu Vienne...
- Non. Pas adieu Tamara. Au revoir...
*

Vienne avait rejoint Eva qui l’attendait dans l’atelier.

- Je suis désolée... Je pensais que mon amie Tamara serait plus distrayante. Elle avait du vague à l’âme ce soir... Son pays lui manque... La Russie lui manque...
- Son amante lui manque...
Vienne, gênée, articula - Son amante ?
- La femme brune du tableau... Je présume que Tamara a des aventures avec des femmes. C’est pour ça qu’elle appréciait la compréhension de son mari...
Vienne laissa passer quelques secondes. A quoi bon nier ? Pourquoi lui mentir ? pensa-t-elle...
- Oui. Vous avez deviné. Tamara aime les femmes... Son mariage n’était qu’une façade... Cela vous choque ?
- Non Vienne. Nullement. Le coeur a ses raisons... Quant au corps... Le désir ne se commande pas...

Vienne sourit - En effet... C’est stupide de croire que l’on peut maîtriser ses sentiments ou son corps. Ceux qui le croient n’ont jamais été amoureux et n’ont jamais désiré...
Elles ne dirent plus un mot. Elles n’osaient aller plus loin sur ce chemin. Car les idées qui occupaient leurs esprits étaient si troublantes...
- Je crois que je dois retourner au Parc Monceau à présent...
- Je vais vous raccompagner chez vous Eva...
- Ce n’est pas nécessaire... Je vais prendre un taxi...
- Je vais vous raccompagnez. J’y tiens...

*
Il était près de minuit. Mais cette nuit d’août était chaude et tranquille.

Elles avaient quitté l’appartement de Tamara et marchaient dans les rues dans l’espoir de trouver un taxi.

Elles ne parlaient pas. Mais elles ne cessaient pas de penser à l’autre.

Soudain, une formidable explosion retentit en même temps que le hurlement d’une sirène déchirait le silence de la nuit. Ce vacarme dominait Paris.

- Vienne !! Mon Dieu !! Que se passe-t-il ??
- C’est la Grosse Bertha qui bombarde Paris !! La sirène nous donne l’ordre de nous réfugier dans les abris ou dans le métro... Venez...
Vienne prit la main d’Eva. Elles se mirent à courir en direction de la station de métro la plus proche où elles s’engouffrèrent, suivies par une foule de gens qui, quelques secondes plus tôt, profitaient de la douceur de la nuit pour se promener.

Elles prirent les escaliers et, en quelques minutes, se retrouvèrent sur les quais.

Les couloirs, les escaliers, le moindre espace, étaient encombrés d’hommes, de femmes de tous âges, d’enfants, de civils et de militaires de tous les pays. Ils avaient quitté les rues. Ils avaient abandonné leurs immeubles pour se réfugier dans le métropolitain.

Certains étaient allongés sur des paillasses. D’autres avaient des chaises pliantes. D’autres encore, les plus organisés, avaient apporté matelas et coussins.

Ils parlaient, buvaient, partageait le pain, rare, et le vin, moins rare. Certains fumaient la pipe, d’autres jouaient aux cartes.

Ils attendaient paisiblement, sans peur apparente, que la Grosse Bertha se taise et les laisse regagner leur domicile.
*
Sans se lâcher la main, Vienne et Eva se frayèrent un chemin au milieu des corps allongés ou assis.

Deux garçons de quinze ans  tout au plus, trop jeunes pour être soldats, étaient assis sur  le banc qui longeait le mur de la station.

En voyant l’uniforme de Vienne, les ailes dorées à son col,  ils se levèrent et leur laissèrent la place.

Vienne les remercia en les saluant. Puis elle invita Eva à s’assoir et prit place à côté d’elle.

Le banc, déjà occupé, était si étroit qu’elles se retrouvèrent serrées l’une contre l’autre.

Le souvenir du Châtelet, si proche, revint à leur esprit. Elles retrouvaient la même sensation délicieuse qu’au milieu de la foule hystérique qui les bousculait.

Combien de temps allaient-elles rester sur ce banc de bois ? Seules au milieu de la foule, mais si bien...
*

Tout à coup Eva pensa à ses beaux-parents. Sans doute, eux aussi avaient dû quitter leur maison pour se réfugier dans un abri. Ils devaient s’inquiéter pour elle.

- Vienne... Combien de temps allons-nous rester ici...
- Tout le temps que durera cette canonnade...
- Et ça dure longtemps ?
- Plusieurs heures... Parfois pendant huit heures d’affilée. Une explosion toutes les quinze minutes...  C’est la première fois que vous subissez les bombardements de la Grosse Bertha ?
- Oui. J’ai connu les bombardements par les Gothas, les avions bombardiers. En février dernier. J’ai lu les tracts qu’ils avaient jetés en même temps que leurs bombes. Ils promettaient de mettre Paris à feu et à sang... Mais ce canon, c’est la première fois...
- La Grosse Bertha a commencé à bombarder Paris en mars 1918. Un de ses obus est tombé sur l’église Saint-Gervais pendant la messe. Les voûtes se sont effondrées sur les fidèles...
Eva répondit avec un frisson - Vienne... Quelle horreur...

Pour la rassurer, la jeune aviatrice posa sa main sur son épaule et l’attira contre elle. Eva la laissa faire. Car grâce à ce simple geste, ce doux attouchement, elle se sentit si bien. Si apaisée. Elle osa poser d’autres questions.

- Mais d’où viennent ces obus ? Je croyais que les allemands reculaient ? Comment peuvent-ils encore bombarder Paris ?


- Ce sont des canons énormes... Construits par les usines de Bertha Krupp... Il paraît qu’ils sont à plus de cent vingt kilomètres de la capitale. Une merveille du génie militaire allemand.
- Tant d’ingéniosité pour donner la mort...
- Ça ne suffira pas Eva. Car les Allemands vont perdre la guerre...
- Vous croyez Vienne ? Vous le croyez vraiment ?
- Oui. Ce n’est plus qu’une question de semaines. De quelques mois tout au plus...
- Mon Dieu quel bonheur... Enfin la paix...
- Oui Eva. Enfin... Ne plus risquer sa vie... Jamais je n’ai eu autant envie de vivre...
Eva ne répondit pas. Elle pensa Moi aussi. Moi aussi, j’ai une folle envie de vivre...
Elle ne dit rien mais se serra plus étroitement contre Vienne. Et elle s’assoupit rapidement dans la douce chaleur de leurs corps réunis.
*
Elles se réveillèrent au  matin. Engourdies mais heureuses. Saines et sauves. Vivantes.

Autour d’elles, les Parisiens se levaient, quittaient leurs lits de fortune. Ils étaient échevelés, leurs vêtements chiffonnés. Mais ils riaient. Car la Grosse Bertha les avaient manqués.

Certains retournaient chez eux. D’autres partaient à leur travail.

C’était facile. Ils suffisait de monter dans les rames du métro qui avait repris ses traversées du ventre de Paris dans le cliquetis métallique des wagons.

A regret, Eva quitta le banc. Et la chaude proximité du corps de Vienne.

Elle soupira - Je dois retourner au Parc Monceau. Tout de suite. Henri et Marie ne savent pas où je suis... Ils doivent s’inquiéter pour moi... Et je m’inquiète pour eux...
- Je vous comprends. Il faut les rassurer au plus vite. Alors, le plus simple est de prendre le métro... Venez...
Elles grimpèrent dans la première rame qui s’arrêta à quai. Vingt minutes plus tard, elles marchaient sur la rue Monceau en direction de l’hôtel particulier des d’Uberville.

Le soleil brillait au-dessus de leurs têtes. Il faisait déjà chaud.

Enfin, elles arrivèrent à destination.

- Quel bonheur !! L’immeuble est intact... Il a échappé aux bombardements...

Eva tendit la main vers Vienne. La jeune femme la garda longuement dans la sienne.

- Vous voulez entrer ? Et prendre un petit déjeuner avec mes beaux-parents et moi ?
- Non Eva. Merci. Je pense qu’ils ont envie d’être un peu seuls avec vous... Je vais rentrer chez moi...
- Quand allons-nous nous revoir ?
- Quand vous le voudrez Eva... Vous avez mon adresse... Je serai toujours là pour vous...
- Rappelez-vous que vous devez me faire rencontrer tous les gens extraordinaires que vous connaissez...
- Je n’ai pas oublié...

Vienne tenait toujours sa main. Elle semblait ne pas pouvoir la lâcher. Elles semblaient ne pas pouvoir se séparer.

Vienne brisa ce moment. - Eva. Je vais vous quitter. Vos beaux-parents doivent vous attendre...
- Oui. Je vais les rejoindre... A très bientôt....
Eva s’approcha d’elle et déposa un baiser sur sa joue. Proche, si proche de la commissure des lèvres.

Vienne frémit. Elle eut une courte seconde d’hésitation.

Elle plongea son regard dans les yeux d’Eva. Elle avait tellement envie de s’y engloutir. Tellement envie de faire ces gestes qui hantaient son esprit et faisaient battre follement son sang dans ses veines.

Il fallait qu’elle agisse. Qu’elle rompe ce sortilège. Car son corps lui faisait presque mal.

Alors, elle leva la main et... appuya sur la sonnette de la porte. Celle-ci s’ouvrit, presque dans la seconde.

- Au revoir, ma chère amie... A très bientôt.

Elle ouvrit la main, laissant échapper celle d’Eva. Leurs doigts se caressèrent en se quittant.

Eva entra dans l’hôtel particulier. Puis, dans un claquement, la porte se referma sur elle.

Vienne resta immobile pendant quelques longues secondes. Elle ne pouvait pas quitter cet endroit. Elle ne pouvait pas s’éloigner.

Puis enfin, dans un effort, elle tourna le dos à la maison.

Elle ignora la bouche de métro si proche et décida de marcher jusqu’à son domicile.

Jusqu’à Montparnasse.

*
Eva serrait contre elle une dizaine de journaux. Elles avait acheté tous ceux qui relataient les événements tragi-comiques qui avaient entouré la première et dernière représentation de Parade.

Elle voulait les lire et les commenter avec Vienne.

Mais elle savait bien que ce n’était qu’un prétexte pour la revoir.

Deux jours s’étaient écoulés depuis qu’elles s’étaient séparées devant la maison des d’Uberville.

Et ces deux jours avaient été interminables.

Bien sur, le soir même de leur séparation, Henri et Marie l’avaient accompagnée dans un de ces salons où elle avait croisé ces éternels jeunes hommes en uniforme...

Mais, ils ne l’amusaient plus. Elle trouvait leur compagnie si ennuyeuse...

Elle avait vu des aviateurs. Mais, malgré leur bravoure et leurs exploits, ils étaient sans intérêt pour elle.

Un seul aviateur comptait à ses yeux. Et elle savait qu’elle ne pourrait pas le rencontrer dans ces salons.

Au bout d’une heure ou deux, après quelques danses, quelques mots de flirt, elle s’était tournée vers Henri et Marie et avait demandé à pouvoir rentrer. Elle avait prétendu être fatiguée. Ils n’avaient pas insisté pour la retenir.

Ils avaient quitté leurs hôtes pour retourner au Parc Monceau...
*
C’est ainsi qu’Eva avait vécu ces deux jours. Dans l’ennui et l’impatience.

Tout d’abord, elle n’avait pas osé contacter Vienne. Après tout, la jeune femme devait avoir mille choses à faire. Mille personnes à voir...

Et puis comment reprendre contact ?

C’était Henri qui, involontairement, lui avait fourni un prétexte, alors qu’un matin, il lisait son journal.

- Eva, ma chère... On parle justement du spectacle que vous êtes allée voir avec votre amie. Parade. La critique est gratinée... Écoutez ça... “En dépit de la réclame et du tapage organisés autour du nom de Picasso, l’argument et la musique du ballet Parade n’ont de grave que ceci : la sottise de l’un et la banalité de l’autre. Il est amusant de constater jusqu’à quel degré l’ineptie peut atteindre”...
- Comme c’est cruel !! Parade est un ballet cocasse et moderne !! Pour ma part, je l’ai adoré !!
Marie intervint en riant. - Votre avis est loin de faire l’unanimité... Qu’en pense Vienne ?
- Je sais qu’elle a aimé ce spectacle... Elle me l’a dit... Je me demande ce qu’elle doit penser de ces critiques si injustes...
- Le mieux serait de le lui demander... suggéra Marie avec un petit sourire.
*
Dans le secret de son coeur, Eva avait applaudi la suggestion de Marie.

A présent, elle marchait dans le quartier de Montparnasse. Elle se sentait légère. Heureuse. Comme elle ne l’avait plus été pendant deux jours.

De temps en temps, elle sortait de sa poche la petite carte sur laquelle Vienne avait noté son adresse.

Enfin, dans une rue étroite, elle s’arrêta devant une porte cochère. L’ayant franchie, elle pénétra dans un îlot de verdure. La campagne à Paris.

Trois maisons, presque identiques, toutes pourvues d’un seul étage, entouraient un jardin arboré.

Dans un coin, Eva vit la motocyclette rouge et son side-car et elle sut qu’elle était arrivée à bon port.

Elle hésita. A laquelle des trois portes devait-elle frapper ?

Soudain, elle entendit un pas derrière elle et Vienne apparut, un livre à la main.
*

Elle avait quitté son uniforme. Elle portait un pantalon et une chemise blanche sous une veste en lin de coupe masculine.

Même sous ce vêtement simple, digne d’un peintre, ou de l’une de ces ouvrières qui avaient pris, dans les usines, la place des hommes partis au combat,  elle restait féminine et élégante...

Le coeur d’Eva se mit à battre plus rapidement. Elle était là. Enfin.

D’abord étonné, le visage de Vienne s’illumina.

- Eva ?? Vous êtes là ?? Vous êtes venue... Quelle joie... J’espère que vous ne m’avez pas attendue. Je suis allée chez Brentano’s acheter un livre qui vient de paraître. La splendeur des Amberson de Booth Tarkington...
- Vous fréquentez la librairie américaine de Paris ? C’est amusant... Moi, en bonne anglaise, je vais chez Smith ou chez Galignani...
- C’est l’une des choses de Paris que j’adore. Le monde entier s’y donne rendez-vous... Même en temps de paix... Mais venez... Entrons chez moi...
Elle poussa simplement la porte d’une des trois maisons. Eva s’étonna - Vous ne fermez pas à clef ?
- Pourquoi le ferais-je ? Il n’y a rien à voler... Je vous préviens, ma modeste demeure n’a rien à voir avec votre hôtel particulier... C’est minuscule... Mais je m’y sens bien...
- Ce n’est pas MON hôtel particulier. C’est celui des d’Uberville. Même s’il est vrai qu’Henri et Marie ont tout fait pour que je m’y sente chez moi...
- Vous les aimez beaucoup n’est-ce pas ?
- Oui énormément...  J’avais très peur d’être rejetée par ce milieu bourgeois auquel je n’appartenais pas. Mais jamais ils ne m’ont considérée comme une petite intrigante qui avait réussi à se faire épouser par un riche héritier... Quand Paul est mort, ils auraient pu me dire de partir... De retourner là d’où je venais... Ils m’ont demandé de rester près d’eux...
- Vous êtes unis par le même chagrin... Celui de la mort de leur fils... Votre époux...
- C’est vrai. Mais les d’Uberville ne veulent pas que je m’enferme dans ce deuil. Que je sois une veuve pour le restant de mes jours. Ils m’emmènent dans des réceptions où je rencontre des jeunes gens. Ils encouragent mes projets... J’ai trouvé gentillesse et affection auprès d’eux...
- Et vos père et mère ?
- Ils sont morts quand j’avais trois ans. Je ne me souviens pas d’eux... J’ai été élevée par une tante... Et vous Vienne ? Vous m’avez parlé, un peu, de votre frère Mike... Mais vos parents ?...
- C’est une longue histoire... Que diriez-vous d’un déjeuner sur l’herbe ?... au Bois de Boulogne ? Je pourrais vous raconter tout ça...
- Quelle merveilleuse idée... D'accord... Je vous suis...

- Très bien. Entrez dans le salon pendant que je prépare le panier...
*


Eva pénétra dans une pièce lumineuse qui servait à tous les usages.

Un bureau, couvert de papiers et de plans, était glissé sous une fenêtre. Un mur était dissimulé par une bibliothèque dont les rayonnages croulaient sous les livres.

Une table et deux chaises, ainsi qu’un canapé et deux fauteuils étaient disposés le long des murs.

Un piano droit complétait l’ensemble.

Les meubles étaient à la fois simples, beaux et fonctionnels.

Mais le regard d’Eva fut immédiatement attiré par un petit tableau accroché au-dessus du canapé.



C’était une femme brune aux cheveux courts. Nue sur une étoffe rouge foncé. Son bras droit, replié, ses épaules et sa tête reposaient sur un oreiller blanc.

Allongée sur le dos, elle avait un regard légèrement moqueur.

Mais ce n’était pas ce que l’on remarquait en premier. C’était la beauté de ses seins. Le velours de son ventre. La rondeur de ses hanches, le galbe de ses cuisses...

Eva la reconnut dès qu’elle la vit. C’était Vienne.

Mais elle devina aussi que c’était la jeune femme que Tamara avait peinte.

Bien sûr, la jeune femme brune peinte par Tamara tournait le dos et on ne pouvait pas voir son visage.

Mais c’était le même corps. Eva en était certaine.

Il y avait la même sensualité, la même souplesse animale.

Et le même désir avait guidé la main des artistes qui l’avaient peinte.
*


Fascinée, Eva admirait l’oeuvre impudique exposée à son regard.

Mais dans le même temps, son esprit résolvait une équation simple. Évidente. Tamara s’était représentée avec son amante. Et cette amante ressemblait à Vienne. Était Vienne...

Eva avait le souffle court. Tant de vérités venaient de lui apparaître en quelques secondes alors qu’elle s’y attendait si peu...

L’évidence de la beauté de Vienne et du désir qu’elle suscitait...

Mais aussi son goût pour les femmes...

Comment devait-elle réagir ? Devait-elle lui annoncer qu’elle savait ce qu’elle était ?

Elle décida de se taire... Et de laisser Vienne se confier à elle... si elle le souhaitait...

Une chose était certaine. Son attachement n’était en rien affecté par cette découverte.

Vienne demeurait son amie et la personne avec laquelle elle se sentait le mieux...

Eva se dit que ces mots n’étaient pas assez forts. Qu’ils ne traduisaient pas la réalité de ses sentiments.

Mais elle ne voulait pas sonder son coeur et son... corps plus avant. Elle ne le voulait pas.

Car, elle ressentait comme un curieux vertige...


*


Vienne la sauva de ses pensées.

Elle entra dans la pièce, un panier à la main.

- Voilà ! Je suis prête !  Malgré les restrictions et le rationnement, j’ai réussi à nous préparer un repas... C’est l’avantage d’être aviateur... Nous sommes horriblement privilégiés... On nous donne tout ce que nous voulons...
- Pourquoi une telle générosité ?
- Parce que les aviateurs vivent vite et meurent tôt... Alors, on nous gâte avant de ne plus pouvoir le faire...
- Vienne... je vous en prie... Ne parlez pas de la mort...
- Pardon Eva... Je suis stupide... Je vous rappelle celle de votre époux...

Eva se tut. Elle n’osa pas avouer que la mort de Paul n’était pas celle à laquelle elle avait pensé.

Alors, elle changea de sujet. - Parlez-moi plutôt de ce tableau et du peintre qui l’a réalisé ! C’est vous, n’est-ce pas, qui avez posé ?
Vienne se mit à rougir légèrement. - Oui. C’est moi. Amédéo Modiciani a beaucoup insisté pour me peindre. Et ensuite il a voulu que ce soit un nu... Evidemment, on ne me reconnaît pas sur cette toile... J’avais les cheveux moins courts... Et le visage est beaucoup plus long et émacié... C’est sa manière de peindre...
Eva pensa. Oh si, on vous reconnaît Vienne... Quand, comme moi, on vous voit avec le coeur... Mais elle se contenta de répondre : - Modiciani ? Je n’ai jamais entendu parler de lui. Un italien, je présume...
- Oui. De Livourne. Il a quitté son pays pour “réussir” à Paris où il ne connaît que déception et misère... Il a habité Montmartre. A présent, il vit à Montparnasse... Je peux vous le présenter si vous voulez... Mais, pardonnez ma franchise Eva. Il risque de vous harceler tant qu’il ne vous aura pas couchée sur une toile ou... dans son lit...

Eva se mit à rire - Merci pour cette franchise un peu crue Vienne... Je vous promets de faire très attention...
- Il est très beau. Grand, brun, ténébreux. Avec un charme fou... Les femmes en sont folles...
- Mais pas vous...
Vienne hésita un instant. Une alerte venait de sonner dans son cerveau. Mais elle répondit avec sincérité. - Non. Pas moi...
- Vous n’aimez pas les hommes beaux, grands, bruns et ténébreux ?
De nouveau, Vienne hésita  pendant une fraction de seconde. Elle pensa : Lui dire que jamais je n’ai été attirée par un homme. Lui dire que je n’aime et ne suis attirée que par les femmes. Qu’à présent, je n’aime et ne suis attirée que par elle. Mais non, tais-toi. Que sais-tu d’elle ? Qu’elle est adorable... Mais aussi qu’elle a été mariée. Elle ne condamne pas Tamara et ses amours... Mais toi ? Qui te dit qu’elle ne va pas te fuir ? Et si elle ne voulait plus être vue en ta compagnie ?
Alors plutôt que de dire la vérité, Vienne bafouilla : - C’est à dire... J’aime une certaine fragilité... Et on ne la trouve pas chez ce genre d’hommes... Enfin, je crois...
- Vous croyez ? Vous avez sans doute raison... Je n’ai pas votre expérience. Avant Paul, jamais je n’avais... enfin vous me comprenez... Et après sa mort, je suis restée prostrée pendant des mois... Je ne me consacrais qu’aux secours aux blessés organisés par la Croix Rouge. C’est Henri et Marie qui m’ont forcée à sortir de la tombe où je m’enterrais vivante...
Eva se tut. Elle était perdue dans ses souvenirs. Ceux d’un garçon gentil et doux. Aimant et drôle.

Vienne n’osait pas interrompre le cours de ses pensées. Mais  elle souffrait. Car elle savait bien que Paul avait resurgi et qu’elle ne pouvait rien faire contre un fantôme.

Mais Eva reprit - Les parents de Paul étaient inquiets pour moi. Un jour Henri m’a dit, de sa grosse voix, “Eva ma chère, il faut laisser les morts avec les morts et les vivants doivent vivre”... Il adorait son fils. Je sais combien cette phrase a dû lui coûter...
- Ils vous aiment énormément... Cela se voit...
- Oui. Je crois qu’ils me considèrent un peu comme leur fille... Mais cessons de parler de moi. Vous aviez parlé d’un déjeuner sur l’herbe...
*


Elles avaient roulé en side-car jusqu’au Bois de Boulogne.


Là, elles avaient cherché un endroit isolé près du lac. Elles avaient étalé une petite nappe blanche sur l’herbe et disposé les victuailles qu’elles avaient sorties du panier.

Vienne était allongée sur une couverture, Eva assise sur des coussins, le dos contre un arbre.

Elles étaient bien. Elles parlaient de tout et de rien. Et de Parade.

Elles avaient lu les critiques publiées dans les journaux achetés par Eva.

Elles étaient sidérées par la virulence des attaques. L’un traitait le ballet de “prétentieuse niaiserie, farce médiocrement divertissante”.

Un autre affirmait “un tel spectacle ne mérite ni applaudissements, ni sifflets, et c’est déjà lui accorder trop d’importance que de le commenter”.

Un troisième enfin : “on ferait mieux de réserver ces arts révolutionnaires à la Russie rouge, si toutefois elle s’en accommode”.

Mais c’étaient les déclarations de Jean Cocteau lui-même qui les avaient fait frémir. L’écrivain poète avait écrit “sans Apollinaire, son uniforme, son crâne rasé, la tempe marquée d’une cicatrice, et le bandage qui entourait sa tête, des femmes armées d’épingles nous eussent crevé les yeux !”

La bêtise méchante des critiques et la violence ds spectateurs étaient telles qu’elles en restèrent silencieuses.
*


Eva osa enfin. - Vienne, vous m’aviez promis de me parler de vous...
- De moi ? répondit la jeune femme avec un soupçon d’inquiétude dans la voix.

- Oui. De votre frère Mike. De vos parents...
- Oh... bien sûr... C’est amusant. Je pensais à eux. Le dimanche, nous allions souvent déjeuner au bord du lac...
- Vous avez habité au bord d’un lac ?
- Oui. L’un des plus grands qui existent dans le monde. Je suis née à Chicago dans l’Illinois. La ville a été construite au bord du lac Michigan.
- Que faisait votre père ?
- Mon père était forgeron. Il avait un petit atelier.  C’était un artisan doué. Il a beaucoup travaillé avec les architectes qui ont rebâti Chicago après le grand incendie de 1871. Plus de dix-huit mille immeubles avaient été détruits. Entre 1875 et 1910, la ville n’était plus qu’un gigantesque chantier. On y a contruit les premiers buildings vous savez... Avant même ceux de New York... Quant à ma mère, elle nous a élevés avec tendresse et amour, mon frère et moi, et elle tenait les comptes pour mon père.
- Et votre frère ?
- Mike avait quatre ans de plus que moi... Mon père voulait qu’il reprenne la forge avec lui. Mais Mike était fasciné par les moteurs, les automobiles et plus tard les avions. Il dévorait tout ce qui s’écrivait sur le sujet... Dès qu’un moteur lui tombait entre les mains, il le démontait et le remontait cent fois. Jusqu’à en comprendre chaque rouage... Il était capable de fabriquer un moteur de ses mains... Mais aussi, une voiture ou une motocyclette... Plus tard, il n’a eu aucun mal à transformer mon avion en biplace alors qu’à l’origine, le Deperdussin monocoque ne pouvait recevoir qu’une seule personne, le pilote...
- C’était un génie de la mécanique...
- Oui. Le mot n’est pas trop fort. Et son enthousiasme était tel qu’il avait réussi à convaincre mon père d’abandonner la construction de charpentes métalliques pour se tourner vers l’aviation. Mais ils n’ont pas eu le temps de réaliser leur projet...
- Que s’est-il passé ?
- En 1910, mon père et ma mère ont embarqué sur le bateau d’un ami sur la Chicago River... et ils ont coulé...
- Vienne... Je suis désolée...
- Après leur mort, Mike et moi avons hérité de leurs biens, maison et atelier de forge. C’est alors qu’il m’a proposé de tout vendre et de quitter Chicago. De quitter les Etats Unis pour la France...
- Et vous avez accepté...
- Vivre dans cette ville, traversée par cette rivière où mes parents s’étaient noyés, était au-dessus de mes forces. Le reste des Etats Unis m’était aussi étranger que la France. Et puis je ne voulais pas quitter Mike. Alors, j’ai dit oui. Je me souviendrai toujours de notre départ. Nous avons embarqué à New York sur un navire français. On a croisé des bateaux qui venaient d’Europe avec leurs émigrants de tous les pays... Mais pour Mike et moi, l’espoir s’appelait... la France...

*


Vienne s’était tue. Son regard s’était fait plus flou. Elle revoyait les images de son enfance, de son adolescence.

Eva respectait son silence. Mais elle voulait tout savoir de cette amie qui l’intriguait autant qu’elle l’attirait. Alors elle continua son discret interrogatoire.
- Mike et vous avez décidé de vivre à Paris...
- Paris, bien sûr... Nous avons tout d’abord cherché un hôtel. Puis quelques jours plus tard, une maison à acheter. Nous avons eu beaucoup de chance. Nous en avons trouvé trois, donnant sur un petit jardin. Celles que vous avez vues ce matin...
- Les trois maisons sont à vous ?
- Oui. C’était une idée de Mike. Une pour moi, une pour lui. L’atelier dans la troisième. Elles sont minuscules, avec un seul étage, et toutes construites sur le même modèle. Une pièce par niveau. Ce sont des maisons d’ouvriers. Rien de luxueux. Mais c’était notre “chez-nous”.
- J’ai vu. J’aime beaucoup vos meubles. Ils sont à la fois pratiques et beaux.
- J’ai commandé ces meubles à un menuisier de Paris. Il a travaillé sur des plans que je lui ai donnés. Mais je n’ai aucun mérite. Car je me suis inspirée des créations d’un architecte de Chicago, Frank Lloyd Wright...
- Vous êtes capable de dessiner des plans ?
Vienne se mit à rire - Mais oui Eva. Comme mon frère n’aimait pas l’école, mon père avait décidé que je serais instruite pour deux. J’ai obtenu mon baccalauréat américain à quinze ans et ensuite j’ai suivi des études de génie civil à l’université de Chicago. J’ai mon diplôme d’ingénieur. J’ai appris à construire des immeubles, des ponts...
- C’est extraordinaire !! Vous m’étonnez de plus en plus Vienne...
- J’ai eu des parents larges d’esprit qui ne pensaient pas que les filles étaient juste bonnes à torchonner et à procréer. Une université ouverte aux femmes et qui prônait l’égalité des sexes. Et enfin, un frère costaud qui faisait le coup de poing avec quiconque cherchait à embêter sa petite soeur... Sans eux...
- De quoi avez-vous vécu, votre frère et vous ?
- Mon frère a fait ce qu’il savait faire. Démonter, réparer des moteurs de voitures et de motocyclettes. Moi je l’aidais. Il m’a appris ce qu’il savait... Je l’ai initié à la théorie qu’on m’avait enseignée à l’université. Les Français adorent les automobiles. Notre clientèle nous faisait vivre... Mais dès que nous avions une minute de libre, on courait suivre des cours de pilotage... Mon frère a insisté pour que j’apprenne avec lui. J’ai fait partie des premières femmes à obtenir un brevet de pilote...
- Quand avez-vous eu votre avion ?
- Malgré l’achat de nos maisons et la transformation de l’une d’elle en atelier, il nous restait suffisamment d’argent pour réaliser le rêve de mon frère. Acheter un avion. Un jour, il a lu dans le journal qu’un Deperdussin monocoque avait gagné la coupe Gordon Bennett. Alors nous sommes allés en Champagne près de la ville de Reims, là où se trouvait l’usine qui construisait cet avion. Et nous avons acheté l’appareil que vous connaissez. Mon frère l’a transformé pour qu’il puisse transporter un passager en plus du pilote... Nous étions heureux. Tellement heureux... La France avait permis la réalisation de nos rêves... Nous avions de nombreux amis... Tous étonnants, passionnés...
- Et puis la guerre est arrivée...
- Oui. Mon frère ne pouvait pas se battre car les Etats-Unis n’étaient pas en guerre. Mais nous avons quand même participé à l’effort de tous, en travaillant tous les deux dans les usines d’armement à la place des ouvriers français partis au front.
- Mais les Etats-Unis sont entrés en guerre en avril 1917...
- C’est alors que mon frère s’est engagé. On lui a confié les commandes d’un Nieuport, un autre avion fabriqué en France. Il a participé à plusieurs combats aériens. Et puis un jour... Le chasseur allemand a été le plus habile, le plus fort...



- Alors, vous avez pris sa place...
- Sauf qu’on ne m’a pas confié d’avion. C’est pour ça que j’utilise celui qui m’appartient.
- Mais vous faites partie de la même escadrille que Mike...
- Oui et non. Ces hommes me  tolérent parce que mon frère est mort en héros... Mais je reste une femme. Même si, pour créer l’illusion, j’ai coupé mes cheveux très court.
- Et aucun n’a cherché à vous séduire ??
Vienne regarda Eva pendant quelques secondes. Que veut-elle savoir ? Mais non, sa question est innocente...
Alors, elle sourit à son tour. - Pourquoi perdre leur temps avec un pilote qui risque sa vie et qui sent l’essence ? Alors qu’ils ont toutes les femmes de Paris à leurs pieds ?
Eva pensa Mais vous aussi Vienne, vous avez des femmes à vos pieds... Mais elle préféra répondre en riant - Je n’ai pas eu l’impression que vous sentiez l’essence quand nous vous avons sortie de votre avion.

- Je plaisantais... Je pense qu’avec ces vêtements d’homme, ils ne me trouvent aucun charme... Aucun pouvoir de séduction...
- Et bien, ils se trompent... Moi, je vous trouve beaucoup de charme... Et, si l'oeuvre de Modiciani est fidèle au modèle, vous avez plus d’armes pour séduire que la plupart des femmes...
Ce fut au tour de Vienne de rougir. - Merci Eva. De tels compliments venant d’une femme aussi belle que vous...
Elle ne put finir sa phrase qui se perdit dans un balbutiement.

Eva remarqua la confusion de Vienne mais continua sur le même ton de complicité amusée  - Je suis certaine qu’il y a quelque part en Amérique, ou ici en France, un homme dont le coeur bat pour vous...
La jeune aviatrice soutint le regard de son amie. Elle aurait voulu qu’elle comprenne, sans qu’il soit nécessaire de prononcer de paroles. - Non Eva. Il n’y a pas d’homme...
Elle sentait qu’elle s’engageait sur un chemin glissant, alors, pour couper court à son trouble, elle continua en riant - Vous savez de moi tout ce qu’il y a à savoir... C’est à votre tour à présent de me faire des confidences...
- Ma vie n’est pas aussi aventureuse ni aussi glorieuse que la vôtre...
- Si elle l’est... Je veux tout savoir de vous Eva... Enfin, je voulais dire... tout ce que vous voudrez bien me confier...
*


Eva se mit à rire doucement. - Très bien ! Vous l’aurez voulu ! Mais ne vous étonnez pas si vous vous mettez à bailler par ennui ! Je suis née à Londres. Mon père était un petit employé dans un bureau. Il rêvait de faire fortune dans les colonies britanniques. Ma mère travaillait dans un atelier de couture. Un jour mon père a décidé de tenter sa chance aux Indes. Ma mère l’a suivi naturellement. Par contre, comme je n’avais que trois ans, ils ont décidé que je resterais en Angleterre auprès de la soeur de mon père. Leur intention était de me faire venir dans quelques mois, quand ils seraient confortablement installés.
- Les Indes... quel fabuleux voyage...
- Je n’ai pas eu l’occasion de le faire... Car je n’ai jamais pu rejoindre mes parents... Ils n’étaient là-bas que depuis quelques semaines, cherchant une maison où m’accueillir, quand ils ont, l’un comme l’autre, attrapé une fièvre qui les a tués en quelques jours...


*

Vienne saisit la main d’Eva et la serra avec douceur. Elle voulait lui communiquer sa force. Lui témoigner son affection. Et tellement plus...
Eva lui sourit et continua - Je suis restée à Londres. Avec ma tante. Elle vivait seule. Elle n’avait pas eu le bonheur d’être aimée alors qu’elle était pourtant la meilleure personne qui soit au monde... Mais quand un homme jetait un regard sur elle, il détournait immédiatement les yeux...
- Pourquoi ?
- Parce que ma tante était affligée d’une cicatrice qui la défigurait. Comme elle savait qu’elle ne pourrait jamais compter sur l’amour et le soutien d’un homme, elle a décidé qu’elle devait avoir un métier qui la ferait vivre dignement. A force d’acharnement, elle a réussi à devenir maîtresse d’école. Elle n’avait pas d’enfant mais elle éduquait ceux des autres. Et quand je suis venue vivre chez elle...
- Elle a réalisé son rêve d’avoir un enfant...
- Oui... Ma tante m’a donné l’amour d’une mère... Et elle m’a transmis son savoir, son goût pour la lecture. A mon tour, j’étais destinée à devenir institutrice. J’étais heureuse avec elle. Et les livres étaient devenus mes meilleurs amis et puis un jour...
- Un jour ?
- Je m’étais rendue à une lecture publique. C’est là que j’ai rencontré Paul d’Uberville... Il était assis à quelques chaises de la mienne. Pendant tout le temps qu’a duré la lecture, j’ai senti son regard posé sur moi. Je n’osais pas tourner la tête vers lui, car j’avais peur qu’il y voit un encouragement... Quand nous avons enfin quitté les lieux, je suis sortie de la salle rapidement. Mais il a couru derrière moi... Il m’a adressé la parole. J’ai compris à son accent qu’il était français. Un Français !! Alors qu’on en dit tant de mal en Angleterre !! Il m’a tendu mon parapluie que j’avais oublié dans ma précipitation à le fuir... Il m’a donné sa carte et a demandé à me revoir le lendemain dans une librairie qui faisait aussi salon de thé. Il m’a dit que si je ne venais pas, il comprendrais... mais que si je venais, je ferais de lui le plus heureux des hommes...
- Et vous êtes allée à ce rendez-vous ?
- Oui. Malgré mes préventions contre ce Français, la curiosité était la plus forte... Et puis Paul était beau et charmant...
*

Vienne ne disait rien. Elle se contentait de sourire. Mais son coeur lui faisait mal. Elle avait reconnu le sentiment qu’elle éprouvait. Elle était jalouse. Jalouse d’un homme. Jalouse d’un mort.

Mais surtout, elle se sentait totalement démunie. Elle avait l’impression que ses espoirs, nés de son amitié avec Eva, s’évanouissaient.

Elle comprenait que ses sentiments et son désir ne seraient jamais partagés.

Eva avait une lueur particulière dans le regard alors qu’elle racontait le souvenir de sa rencontre avec Paul. Vienne aurait donné n’importe quoi pour voir cette lueur dans les yeux d’Eva quand ils se posaient sur elle.

Mais elle ne laissa rien paraître de sa peine. Et elle continua à l’écouter avec son doux sourire.

- Nous avons parlé littérature. Nous avons comparé les mérites des auteurs anglais et français. Je dois bien reconnaître que j’ai fait preuve d’un chauvinisme obtus. Alors que Paul se montrait ouvert et tolérant... Il m’a proposé de m’inviter au théâtre assister à une représentation de Richard III... J’ai accepté... Nous nous sommes revus la semaine suivante. Puis tous les deux jours. Puis tous les jours. Je savais peu de choses de lui. Mais je me rendais bien compte que petit à petit, j’étais en train de tomber amoureuse...
*

Vienne, le coeur chaviré, osa la question. - Vous êtes devenus amants ? Pardon Eva... Je suis indiscrète...
- Non, vous ne l’êtes pas... Ô mon Dieu, non. Paul était trop délicat pour me demander ça. Nous nous contentions de parler, danser et... flirter. Les Français ont un tas de mots pour ça. Marivauder. Badiner... Et puis un jour... C’était le 29 juin 1914, je m’en souviens encore comme si c’était hier... Paul n’était pas comme d’habitude. Il était sombre et mélancolique... Mais surtout, il était inquiet...
- Pourquoi ?
- Parce que la veille, à Sarajevo, un lycéen serbe de 19 ans, Gavrilo Princip, avait assassiné l’héritier du trône d’Autriche et de Hongrie, l’archiduc François-Ferdinand, et sa femme Sophie von Hohenberg... Moi, je ne voyais pas en quoi cet attentat pouvait changer nos vies. Mais Paul, lui, avait compris...
- La guerre...
- Oui. Paul savait qu’il allait partir à la guerre. Et que c’était une question de quelques jours... Il avait raison. Car, par le jeu des alliances diplomatiques et militaires qui liaient l’Allemagne à l’Autriche, la Russie à la Serbie, la France à la Russie, il ne fallut que six semaines pour que la guerre éclate et embrase toute l’Europe...
- Comment pouvait-il le savoir ?
- Parce que Paul était un d’Uberville. Et que sa famille a ses entrées dans tous les ministères, dans toutes les ambassades... Et que pour des banquiers comme eux, il n’y a pas de secrets diplomatiques. Il n’y a pas de secrets d’Etat.
- Alors, Paul vous a dit adieu...
- Non. Il a mis un genou à terre. Et il m’a demandé de l’épouser... Je ne savais rien de lui. Si ce n’est qu’il était français et qu’il travaillait dans une banque. J’ignorais qu’il était l’héritier d’une riche famille. Je pensais que c’était un petit employé comme mon père l’était. Je savais seulement que je l’aimais. Alors j’ai dit oui... Quinze jours plus tard, on célébrait notre mariage en Normandie. Dans le Manoir des d’Uberville. Et je découvrais sa famille... Je quittais les brumes de Londres pour l’atmosphère distinguée des beaux quartiers de Paris...
- Quel changement...
- Et quelle peur... La peur que sa famille me rejette... Mais non... Ils ont tous été adorables avec moi. Avec ma tante... Henri et Marie adoraient leur fils. Et ils aiment tous ceux que Paul aimait...
- Vous étiez heureuse... commenta Vienne en faisant un effort désespéré pour masquer le tremblement de sa voix.

- Les jours qui ont suivi notre union ont été si... parfaits. Paul m’a emmenée à Trouville. Dans l’hôtel des Roches Noires. Il était si doux... si amoureux... si passionné...



Vienne porta un verre de vin à ses lèvres pour cacher son trouble.
- Mais tout en dégustant ces jours de bonheur, nous suivions pas à pas la marche de l’Europe vers cette tragédie sanglante. Le 3 août, l’Allemagne déclarait la guerre à la France.  Le gouvernement français ordonnait la mobilisation générale. Nous avons regagné Paris... Paul a rejoint son régiment. Le 5 septembre suivant, il mourait sous une rafale de mitrailleuse. Au milieu d’un champ de blé... Sous un magnifique soleil d’été...
*

Une larme avait coulé sur la joue d’Eva jusqu’à la commissure de ses lèvres. Une larme que Vienne aurait aimé effacer d’un baiser. Mais bien sûr, elle n’osa pas.

Eva reprit son récit. - Après... Je ne savais plus que faire de moi... J’étais perdue... Je me sentais si seule... Mais je ne l’étais pas... Il y avait Marie. Il y avait Henri. Nous avions perdu l’homme que nous aimions. Cela nous a soudés comme aucune joie n’aurait pu le faire... Il m’ont demandé de rester avec eux... Vous connaissez la suite. Je me suis inscrite auprès de l’Union des Femmes de France qui, sous l’égide de la Croix Rouge, soignait les blessés. Je suis partie dans un hôpital près du front... Puis encore un autre... en fonction de l’avancée de nos troupes...
- Puis enfin celui où nous nous sommes rencontrées...

- Mais avant ce jour, il y en a eu tant de désespérants. Des jours où je ne pouvais que regarder la vie fuir entre mes doigts... Je rentrais à Paris où je retrouvais Henri, Marie et leur douleur digne. Ils attendaient, en le redoutant, le moment où Roger, leur plus jeune fils, allait à son tour partir à la guerre. Et les années ont passé... Inéluctablement...
- Rien ne peut arrêter le temps... Pas même la folie des hommes...
- Roger est parti à son tour pour nourrir ce Moloch monstrueux qui dévorait ces soldats. Marie n’avait plus de larmes. Quant à Henri... Il n’avait pas la consolation de pouvoir pleurer. Et puis, un  jour, ils ont appris que Roger avait eu la main arrachée par un éclat d’obus. Ce jour-là je les ai vus rire. Parce qu’ils savaient que leur fils estropié ne pourrait plus se battre. Qu’il allait revenir près d’eux. Qu’il allait échapper à cette tuerie... Voilà Vienne. Vous savez tout de ma vie. Elle n’a rien d’exceptionnel... Ou alors les dizaines de milliers de veuves qui peuplent le monde ont toutes une vie exceptionnelle...
*

Vienne resta silencieuse quelques secondes. Puis elle répondit - Nos vies sont des pages blanches à écrire...
- Si la guerre nous en laisse le temps... Mais cessons de parler d’elle ! Vous allez finir par croire que j’ai le vin triste ! Et ce délicieux Bordeaux mérite mieux que ça... Qu’allez-vous faire pendant les six jours de permission qui nous restent ?
- Et bien, demain je vais me rendre à Orly pour inspecter mon avion. Par chance il n’a pas souffert de l’attaque du chasseur allemand. Je suis la seule à avoir reçu une balle...
- Je ne sais pas si je dois le regretter ou m’en féliciter...
- Moi, je ne le regrette pas Eva... Parce que cette blessure m’a permis de vous rencontrer... Mais j’y songe... Je vais voler un peu... Pour le simple plaisir de voler... Pourquoi ne pas venir avec moi ?  Nous pourrions aller où vous voulez... A la condition que ce ne soit pas à Berlin...
- C’est vrai ? Alors, il y a un endroit où j’aimerais beaucoup me rendre... C’est à Giverny, chez Claude Monet, le peintre... C’est un ami de Marie et Henri...
- Giverny ? Mais c’est tout près... Moins de cent kilomètres. Nous y serons en vingt minutes... Très bien, c’est entendu. Je vous y emmène... Je viendrai vous chercher demain à dix heures. Cela vous convient ?
- Oui Vienne. C’est parfait... Mais êtes-vous certaine d’être à l’heure ?
- Mais oui... J’ai un réveil qui me sonne les cloches tous les matins répondit Vienne en riant. Et puis, j’ai ma montre... Une Manufrance type 75...
- Je la connais. La plupart des soldats que j’ai soignés en portaient une. Elle est énorme. Et convient si mal au poignet d’une femme...
Vienne répliqua en riant - Peut-être mais je n’ai pas à la chercher au fond d’une poche.
- C’est vrai. Je me souviens qu’au début de la guerre, les chirurgiens, avec lesquels j’ai travaillé, extrayaient beaucoup d’éclats de métal ou de verre des poitrines des hommes blessés par la montre qu’ils portaient dans une poche.
- Vous voyez... Ma montre est très laide. Mais elle est un progrès...
- J’aimerais quand même vous faire ce petit cadeau... Tout en parlant, Eva sortit un paquet de son sac à main et le déposa sur la nappe blanche. C’était une boîte étroite recouverte d’un joli papier.

- Mais... Eva... non... Il ne fallait pas... Pourquoi ?
- J’avais envie de vous faire plaisir... Et puis vous m’avez offert quelque chose de rare. Ce vol dans le ciel. Alors, je veux vous remercier... Ouvrez...
Vienne déchira fébrilement le papier. Elle était comme une enfant impatiente. Enfin elle ouvrit la boîte et resta quelques secondes bouche bée. Elle en sortit une montre carrée. En cuir et or rose.

- Mais Eva... Elle est magnifique.
- C’est une Santos... Louis Cartier l’a créée pour son ami, l’aviateur brésilien Santos-Dumont. Hier, Marie m’a entraînée chez ce joaillier. Quand j’ai vu cette montre, j’ai immédiatement pensé qu’elle était faite pour vous... Elle vous plaît ?
- Comment pourrait-elle me déplaire... Elle est superbe !!
- Alors, mettez-la à votre poignet... Je vais vous aider...
Vienne retira la lourde montre Manufrance et tendit son poignet gauche autour duquel Eva attacha le bracelet en cuir. Elle sentit le bout des doigts de son amie frôler sa peau et elle frémit. Mais elle se contenta de dire - Eva... c’est beaucoup trop beau...
- Non. Ce n’est pas trop beau... C’est un témoignage de mon amitié... De mon affection... A présent, je suis certaine que vous serez toujours exacte à nos rendez-vous...
- Je n’ai jamais été en retard...
- Oui c’est vrai. Et bien disons qu’à chaque heure du jour, quand vous regarderez votre montre, vous penserez à moi...
- Je n’avais pas besoin de montre pour penser à vous...
Le regard de Vienne était posé sur elle. Il était si doux qu’Eva en fut troublée. Alors, pour se donner une contenance, elle se mit à chiffonner le papier qui, quelques minutes plus tôt, emprisonnait la montre.
*

Elles avaient longuement discuté, heureuses de constater qu’elles aimaient souvent les mêmes choses. Les mêmes livres, la même peinture, la même musique. Et ce que l’une connaissait, l’autre voulait le découvrir.

Elles n’avaient pas vu que le jour déclinait. Il était temps de quitter l’ombre fraîche des arbres du Bois de Boulogne et de rentrer. Le moment de se séparer était arrivé. Encore une fois.

Elles regrettaient que le Bois soit si proche du Parc Monceau. Il suffisait de suivre les avenues de la Grande Armée et de Wagram, de traverser la Place de l’Etoile pour arriver, en quelques minutes à peine, à l’hôtel particulier des d’Uberville.

Vienne gara sa motocyclette le long du trottoir et aida Eva à descendre du side-car.

Elle retint sa main dans la sienne. - Alors à demain, dix heures ? Je serai à l’heure grâce à la si jolie montre que je porte au poignet...
- Oui Vienne... Je vous attends déjà avec impatience ! Enfin, je veux dire... j’ai hâte de voler à nouveau...
Eva ne voulait pas trop en dire.
Vienne lui répondit en souriant, d’un petit sourire mélancolique - Très bien... Alors à demain, mon amie... A demain...
Elle sentit les lèvres douces et fraîches d’Eva sur sa joue. Elle ferma les yeux quelques secondes pour s’engloutir dans ce moment si fugace.
Puis elle regarda la jeune femme pénétrer dans la vaste maison bourgeoise et sursauta presque quand la porte se referma sur elle dans un claquement sec.
*


A présent, Vienne roulait au milieu de la circulation parisienne.

Les pensées se bousculaient dans son esprit. Mais elles étaient décourageantes. Décidément, je déteste ces moments où nous nous séparons. Il me tarde d’être à demain. La revoir... La revoir encore... Même si c’est sans espoir... Eva me voit comme une amie qui la distrait un peu. Elle m’a parlé d’amitié. D’affection. Elle m’a offert ce ravissant bijou. Mais, elle pense toujours à Paul... A ces quelques jours avec lui... Elle n’a rien d’autre à me donner que sa présence radieuse... Mais c’est déjà beaucoup... C’est énorme... Partager un tout petit peu, le quotidien d’une telle femme... Belle, raffinée, cultivée, intelligente, douce... Même s’il ne doit rien y avoir d’autre entre nous, tu ne voudrais pas vivre une telle amitié et la vivre pleinement ?... Si, bien sûr... Y renoncer parce que tu ne peux pas avoir plus, ce serait stupide... La vie n’est pas si généreuse... Il faut prendre ce qu’elle nous offre... Cueillir chaque jour comme si c’était le dernier... Cette amitié est comme une pépite que je dois conserver précieusement...
Alors elle sourit à la vue du soleil qui se couchait sur Paris et dont les rayons nimbaient la ville d’une couleur orangée.
*


Songeuse, Eva se dirigeait vers le jardin des d’Uberville pour rejoindre Henri et Marie.

Elle avait aimé chaque minute de sa journée avec Vienne.

Pourtant, elle ressentait une curieuse mélancolie proche de la désillusion. Vienne est une si délicieuse amie. Si étonnante et si forte. Si proche et si différente...  Mais notre amitié n’aura qu’un temps. Je ne l’intéresse pas. Elle n’a pas cherché à me séduire. Elle ne pose pas sur moi ce regard qu’a eu Tamara, dès les premières secondes de notre rencontre. Pour Vienne, je ne suis qu’un divertissement au milieu de cette guerre. Dès qu’elle aura rencontré celle qu’elle attend, je cesserai de faire partie de son quotidien... Mais c’est vrai aussi que je n’ai pas cessé de lui parler de Paul. De lui rappeler que je suis veuve... Ce n’est pas vraiment un encouragement... Qu’est-ce que je veux ? Qu’est-ce que j’attends d’elle ? Je dois sonder mon propre coeur... Je sais que j’ai été troublée quand j’ai vu ce tableau. J’ai ressenti quelque chose... Je ne dois pas me mentir... C’était du désir... J’en suis certaine... Elle me trouble... Je suis jalouse des femmes qu’elle a aimées. Qu’elle va aimer...
Elle était sortie dans le jardin. Souriante, elle marchait vers Henri et Marie.

Mais son coeur, son corps n’étaient pas au repos.
*


Vienne et Eva avaient été exactes au rendez-vous.

A dix heures précises, l’une sortait de l’immeuble des d’Uberville. L’autre arrivait sur sa motocyclette rouge.

Vienne sauta de son engin et se dirigea vers son amie. Elle portait un court blouson de daim sur un pantalon d’équitation rentré dans de fines bottes de cuir. Nouée autour de son cou, une écharpe de soie lui donnait un soupçon d’élégance féminine.

Eva posa sa main sur l’épaule de Vienne et déposa un baiser sur sa joue. Ce geste lui était naturel. Il lui était aussi devenu indispensable.

Elle s’adressa à elle dans un grand éclat de rire. - Bonjour Vienne... Quelle précision ! Décidément je ne regrette pas l’achat de cette montre... Nous partons tout de suite à Orly ?
- Bonjour ma chère amie... Oui. Nous partons tout de suite... Vous souhaitez toujours aller à Giverny ?
- Bien sûr. Et quand nous serons chez lui, vous comprendrez tout de suite pourquoi j’ai voulu rendre visite à Claude Monet...
- Je connais ses oeuvres...
- Oui... Mais pas la plus surprenante de toutes... Seuls sa famille et ses amis la connaissent... Mais je ne vous en dis pas plus. C’est une surprise...
- J’adore vos surprises Eva... Je suis impatience de la découvrir... Alors allons-y...

*


L’avion survolait Versailles qui se trouve sur la route de Giverny.

Eva dévorait la ville et le château des yeux.

Elle était subjuguée par les éblouissantes perspectives de la demeure royale.

Elle découvrait l’architecture majestueuse du palais, l’Orangerie, les arabesques géométriques des jardins à la française, les symétries parfaites des bâtiments et des fontaines du Grand Trianon. Mais aussi le Parc, les arbres centenaires, le fouillis végétal qui encerclait le Petit Trianon et le Hameau de la Reine.

Elle dominait le plus grand palais d’Europe et le voyait comme personne d’autre ne pouvait le voir.

Elle avait conscience que Vienne lui offrait une expérience unique, un fabuleux voyage.

La jeune aviatrice était assise devant elle. Son écharpe de soie flottait au vent. Elle pilotait son avion d’une main ferme.

Eva lui avait confié sa vie.

Elle éprouvait la même impression que la première fois qu’elles avaient volé ensemble. Rien de mal ne pouvait lui arriver. En toutes circonstances, Vienne serait là pour la rassurer.

Une vérité lui apparut. Evidente. Incontestable. Elle désirait plus que tout que Vienne soit toujours là.

*


Bientôt, les grandes villes disparurent pour laisser la place aux champs, aux petites rivières et aux bois.

La campagne normande dormait sous le soleil de ce mois d’août. Elle était si paisible. Si belle.

Elle était si différente des plaines de l’est ravagées par les bombardements. Là-bas ce n’étaient que villages rasés, forêts aux arbres calcinés, prairies lunaires aux sols défoncés par les trous d’obus. Cimetières à ciel ouvert...

Eva avait l’impression de survoler un autre pays. Un pays heureux et en paix.

*


Dans le secret de son coeur, elle remerciait Vienne. La jeune femme mettait de la joie dans sa vie.

Quelques minutes auparavant, quand elle avait endossé le cache-poussière à col de fourrure que Vienne avait apporté pour elle, quand elle avait mis le casque de cuir aux grosses lunettes de vol, elle avait été prise d’un fou-rire.

Elle s’amusait de se voir ainsi attifée.

Mais Vienne lui avait dit qu’elle était toujours aussi belle. Que tout lui allait. Même les vêtements les plus improbables... Qu’elle avait ce don de rendre élégant le vêtement qui l’était le moins.

Vienne avait glissé la main dans la poche de son blouson pour y prendre un minuscule appareil photo, enfermé dans un étui en cuir. Un Vest-pocket Kodak.

Elle avait photographié Eva qui riait aux éclats.

Dieu que la guerre et son cortège de drames et de larmes étaient loin !!!

*


Le village de Giverny apparut. Il était entouré de champs rougis par les centaines, les milliers de coquelicots qui y poussaient.

Vienne amorça la descente. Elle cherchait au milieu du bocage normand un endroit où atterrir. Enfin, elle vit une prairie où quelques vaches étaient allongées sous l’ombre bienfaisante d’un chêne.

Les roues du Deperdussin touchèrent le sol. L’avion se posa doucement et roula  jusqu’au bord de la prairie, près d’un chemin qui la longeait.

Vienne avait à peine arrêté le moteur, que trois gamins arrivaient en courant. Ils étaient essoufflés.

Admiratifs, ils regardaient l’avion bleu, avec sa tête de sioux peinte sur le fuselage. Etonnés, ils virent les deux jeunes femmes en descendre.

Vienne se tourna vers eux. Elle leur demanda de veiller sur  son avion et promis de donner une pièce de 10 francs à chacun d’eux.

Ils répondirent oui avec enthousiasme.

*


Silencieuses, elles marchaient vers le village. Mais sans le savoir, elles pensaient à la même chose.

A ce moment précis où Vienne avait posé ses mains sur les hanches d’Eva pour l’aider à descendre de l’avion. A ce moment où Eva avait posé les siennes sur les épaules de la jeune aviatrice.

Elles s’étaient retrouvées face à face et si proches. Mais elles n’avaient rien osé.

Eva brisa le silence - Je me répète sans doute mais tant pis. Quel spectacle que la France vue du ciel ! Versailles et maintenant ces champs rouges. Merci Vienne... Merci mille fois...



- Je suis si heureuse de vous faire plaisir. Mais pourtant, j’ai un regret...
- Ah oui ? Lequel ?

Vienne répondit en riant. - Vous ne descendez plus des avions en trébuchant et en tombant dans mes bras.
Eva se contenta de répondre d’un sourire. Mais elle pensa Enfin une allusion... Enfin un soupçon de flirt...

Et elle eut l’impression que l’air si léger qui flottait sur le village de Giverny se faisait son complice.

*


Elles traversaient le village en direction de la maison de Claude Monet.

Vienne était intriguée. - Vous m’avez parlé d’une oeuvre de Monet. Auriez-vous posé pour lui Eva ?
- Non. Jamais. Je n’ai jamais posé. Pour aucun peintre.
- Je trouve ça regrettable...  Mais alors, de quoi s’agit-il ?
- Un peu de patience Vienne. Nous arrivons bientôt.

Enfin, elles s’arrêtèrent devant une porte au milieu d’un mur d’enceinte. Eva tira le cordon de la sonnette. Au bout de quelques minutes, elles entendirent un pas qui faisait crisser le gravier. La porte s’ouvrit et une femme en tablier de servante apparut. Elle poussa un cri.

- Madame d’Uberville ! Quelle surprise ! Mais Monsieur Monet ne m’a pas dit que vous deviez venir !
- Bonjour Emma. Il n’en savait rien. Je passe à l’improviste. Je ne veux pas vous déranger. Je souhaiterais simplement faire visiter les jardins de Monsieur Monet à une amie.
- Monsieur Monet est absent pour quelques jours. Mais entrez donc. Ses amis sont toujours les bienvenus.
La robuste domestique du peintre s’écarta pour laisser entrer les jeunes femmes dans la demeure du Maître de l’Impressionnisme.
Vienne n’avait pas fait deux pas qu’elle se crut plongée dans le jardin d'Eden.


*


Une longue allée, bordée de parterres de fleurs, menait à la demeure du peintre.

Bien qu’elle fut large et haute, on distinguait à peine la maison car des arbres la masquaient aux regards.

Partout où l’on posait les yeux dans ce vaste jardin, ce n’était que profusion des essences les plus diverses, des formes les plus variées. Un embrasement de couleurs chaudes ou douces, éclatantes ou timides.

Les camaïeux de jaunes répondaient aux dégradés de violets.

Lis, glaïeuls, mauves, dahlias, sauges, verveines, oeillets d’Inde, cosmos, reines-marguerites, pensées, capucines en rangs serrés se penchaient sur les petites allées du jardin.




Les fleurs se comptaient par centaines, par milliers. Bataillons magiques d’une armée pacifique partie à l’assaut du visiteur émerveillé. 

Au-dessus de la grande allée, un beau rosier grimpant était placé en sentinelle, semant ses pétales aux pieds des ifs.

Devant la maison de Monet, des rosiers blancs montaient la garde.

Et au-dessus de ce jardin féerique, un ciel bleu où passait un nuage. Un ciel que Claude Monet aurait pu peindre.

*


Emma s’était éloignée vers la maison afin de laisser les jeunes femmes à leur découverte du jardin.

Vienne se sentait comme étourdie au milieu de cette exubérance, au milieu de cette mer de fleurs.

Elle s’attendait si peu à cette expérience. En pénétrant dans ce jardin, elle avait l’impression d’être entrée dans une des oeuvres du Maître.

Le souffle coupé, elle avançait avec lenteur au milieu des plantations.

Eva épiait ses réactions. Elle était ravie de son effet. La féerie des jardins de Claude Monet répondait à la magie du vol en avion.

Vienne murmura - Que c’est beau... Je n’ai pas assez de mots pour décrire ce jardin... Il faudrait le talent d’un poète aussi talentueux que Monet pour décrire son oeuvre...
- Alors, vous ne regrettez pas d’avoir quitté Paris pour quelques heures ?...
- Même si je n’avais pas eu le plaisir de découvrir cet endroit, j’aurais eu le bonheur de votre compagnie, Eva... Être avec vous au milieu de ce jardin, c’est l’idée que je me fais du paradis...
Eva se détourna légèrement afin de dissimuler la timide rougeur que ces quelques mots avaient provoquée. Elle pensa Quelle douceur... Que j’aime Vienne quand elle se laisse aller à ces propos si tendres. Je l’aime ? Mon Dieu...
Elle était infiniment troublée par ses pensées et infiniment enivrée. De nouveau, elle se tourna vers Vienne.
- Vous n’avez pas encore tout vu. Venez...

*

Elles revinrent sur leurs pas en direction de la porte qui ouvrait sur le jardin. Elles sortirent, traversèrent la rue en direction d’une autre porte.
- Monet possède deux jardins qui se font face, de part et d’autre de cette rue. Celui que nous venons de voir, qui s’appelle le Clos normand, et celui que vous allez découvrir.
Tout en parlant, Eva avait poussé la seconde porte. 

En deux pas, elles atteignirent un petit pont de bois peint en vert qui enjambait un ruisseau.




Elle le franchirent en passant sous deux glycines, l‘une mauve et l’autre blanche. Elles contournèrent des bambous pour flâner doucement le long de l’étang aux nymphéas, au milieu des rhododendrons et des azalées.




L’étang était couvert de nénuphars. Le long feuillage des saules pleureurs tombait sur la surface de l’eau. Des libellules volaient et on entendait le coassement des grenouilles répondre aux chants des oiseaux.

*


Elles marchèrent le long de l’étang puis revinrent vers le pont où elles stationnèrent pendant quelques minutes sans dire un mot.

Vienne était subjuguée. - Sommes-nous encore en Normandie ? J’ai l’impression d’être partie très loin. A Kyoto par exemple...
- Vous ne vous trompez pas Vienne. Monet appelle cet endroit son jardin d’eau. Il a essayé de reproduire les jardins japonais qu’il a vus sur les estampes qu’il collectionne...
- Il y a ici une telle sérénité. Un tel silence, seulement troublé par le clapotis de l’eau. Le bavardage des oiseaux. C’est fabuleux... C’est si merveilleux de visiter un tel lieu avec vous... Merci Eva. Merci de m’avoir permis de connaître cet endroit...
Vienne saisit la main de la jeune femme et, avant que celle-ci puisse faire un geste, elle la porta à ses lèvres.

Eva frissonna sous leur contact. Elle était émue. - Vienne, ne me remerciez pas. J’avais envie de vous faire découvrir ce lieu magique et paisible...
- On a l’impression d’être dans un autre monde. Un monde de beauté. Un monde où vous avez toute votre place Eva...
La jeune femme osa répondre - Un monde que je voudrais partager avec vous Vienne...
- Vraiment ? Merci... C’est la plus jolie chose qu’on m’ait jamais dite...
Elles étaient face à face, Vienne tenant toujours la main d’Eva dans la sienne. Elles se souriaient.

Le regard de Vienne s’attardait sur les lèvres de son amie. Elle pensait Mon Dieu, comme j’aimerais l’embrasser... Mais je ne le dois pas... Je risque de gâcher ce moment magique...
Alors elle se pencha vers Eva, qu’elle dominait légèrement, et doucement embrassa sa joue. Secrètement, elle espérait qu’elle s’abandonnerait...

De nouveau Eva fut troublée par ce baiser. Alors elle tenta une diversion - Nous devrions rejoindre Emma pour la remercier de nous avoir permis d’entrer dans les jardins.
Vienne sourit pour ne rien montrer de sa déception. - Je vous suis...
Elles retournèrent dans le Clos normand où la servante les attendait.

*


Emma n’avait pas voulu qu’elles repartent “le ventre vide à Paris où l’on manquait de tout”.
Elle avait insisté pour qu’elles prennent place autour d’une table qu’elle avait dressée dans un coin du jardin.

Vienne et Eva avaient protesté pour la forme, car elles avaient rapidement succombé aux charmes de ce déjeuner improvisé au milieu des fleurs et à l’ombre d’un arbre.

Elles avaient déjeuné de légumes frais du potager, d’une volaille, et de galettes délicieuses.

Elles interrogèrent Emma sur la santé du maître des lieux.

- Il n’est plus le même depuis la mort d'Alice, sa femme, et celle de Jean, son fils. Il ne peint plus. Sauf le bassin aux nénuphars. Il a fait construire un atelier spécial car les toiles qu’il utilise sont de très grande taille. Et puis sa cataracte le gêne... Il ne voit plus les couleurs comme nous les voyons...

*

Elles parlèrent longtemps, se promenèrent encore dans le jardin pour profiter des couleurs qui changeaient en fonction des ombres que jetait un soleil déclinant.

Et elles ne virent pas le temps passer.
Il était plus de dix huit heures quand Vienne suggéra - Il se fait tard nous devrions songer à rentrer...
- Quel dommage de quitter ces jardins... Mais vous avez raison Vienne. Rentrons...
La jeune aviatrice, qui scrutait le ciel, sembla tout à coup inquiète. - Je crains que ça ne soit pas si facile...
- Pourquoi ?
En tendant le bras, Vienne répondit. - Regardez le ciel, là-bas, vers Paris et de sa banlieue...
Eva obéit elle vit au loin un ciel noir et menaçant.

- Je vois. Un orage est en train de s’abattre sur Paris.
- Oui. Et sans doute sur Orly qui n’est qu’à quelques kilomètres. Nous ne pouvons pas voler dans un orage. C’est trop dangereux. Et nous n’avons aucune protection contre la pluie, le vent, la foudre....
- Attendons que l’orage s’éteigne...
- Espérons qu’il s’éteindra vite. Car, bientôt, il fera nuit noire...

Elles prirent place sur un banc, et parlèrent encore et toujours. Le temps passa mais le ciel vers Paris était toujours aussi orageux.
Vienne en fit la remarque. - Ces orages d’août durent des heures... Et il fait presque nuit...
- Qu’allons-nous faire ?
- Je crois que nous devons rester à Giverny... Je vais aller payer les trois garçons qui veillent sur mon avion et chercher une auberge où nous pourrons passer la nuit... Je suis désolée Eva... Je ne pensais pas que notre escapade allait si mal tourner...
Eva pensa Je ne trouve pas que notre escapade tourne si mal... mais elle se contenta de répondre - Ne vous excusez pas Vienne. Vous n’avez aucune maîtrise sur le temps. Venez. Emma va sans doute pouvoir nous renseigner sur un lieu où nous pourrons dormir.


*

Emma avait protesté avec véhémence quand les jeunes femmes lui avaient fait part de leur intention de dormir à l’auberge du village.

Elle avait multiplié les excellentes raisons pour qu’elles restent. “L’auberge n’est pas un endroit assez bien pour des dames comme vous... Monsieur Monet sera furieux quand il apprendra que la jeune Madame d’Uberville a dormi dans un lieu aussi peu convenable. Et puis les chambres ne manquent pas ici. Les maîtres de maison ont eu huit enfants, tous partis à présent...”

Vienne et Eva n’avaient opposé qu’une faible défense à la brillante plaidoirie de la servante.

Emma avait donc préparé deux petites chambres attenantes, une porte mitoyenne permettant de passer de l’une à l’autre.

*

Vienne et Eva avaient profité de cette soirée d’été et des jardins. Une douce fraîcheur était tombée, bienvenue après le soleil ardent de la journée.

Assises sur un banc au milieu des fleurs, elles avaient bavardé avec Emma qui avait le privilège de vivre à côté d’un génie. Parfois, souvent même, un peu bougon.




Et Emma les avait interrogées à son tour sur cette guerre qui n’en finissait pas et qui était, à la fois, si lointaine et si proche.

Lointaine car ici, à Giverny, on n’entendait pas le bruit des canons et de la mitraille. Parce que la Normandie, comme l’essentiel du territoire français, était à l’abri des souffrances qui ravageaient les plaines de l’est et du nord.

Proche parce que, les uns après les autres, les jeunes hommes de Giverny avaient dû partir pour le front. Certains en étaient déjà revenus, morts ou grièvement blessés. Et, peu à peu, le village se peuplait de veuves et de fiancées qui ne se marieraient jamais. De jeunes femmes dont le bonheur s’était évanoui avec les hommes qu’elles aimaient.

Eva avait baissé la tête pour cacher les pensés qui occupaient son esprit. Paul est mort. Je l’aimais... et pourtant... je n’ai plus l’impression que ma vie s’est arrêtée avec lui... Cette idée m’a quittée... depuis... oui... depuis que j’ai rencontré Vienne...

Elle avait levé les yeux et elle avait croisé le regard de Vienne. Elle y avait lu la même interrogation. Elle en était certaine.

Emma était impressionnée par ces femmes “modernes” qui, au péril de leur vie, soignaient les blessés près de la ligne des combats. Par ces femmes qui pilotaient des voitures et même des avions !!!! Jamais elle n’aurait cru que cela fut un jour possible. Jamais elle n’aurait cru rencontrer une femme pilote.

- Je sais bien que moi je n’aurai jamais le courage de voler dans ces machines. Et j’admire celles qui l’ont. Elles sont l’avenir de notre monde...


*


Elles avaient fini par gagner leurs chambres.

Elles étaient encore restées pendant quelques minutes sur le pas de leurs portes. Elles éprouvaient de nouveau ce sentiment qui leur était devenu habituel. La difficulté à se quitter.

Alors elles cherchaient la plus petite occasion qui leur permettrait de retarder le moment de la séparation.

- Finalement cet orage n’aura pas eu que des désavantages. Il nous aura permis de passer un moment agréable avec cette femme qui est la sagesse même... murmura Eva.

- Oui... pas que des désavantages... répondit Vienne sans oser en dire plus.

- Bien... Alors je vais vous laisser... Vous devez être fatiguée...
- Non... Pas vraiment... Mais vous devez l’être... Alors bonne nuit Eva... A demain...
- A demain Vienne... Dormez bien.

Eva s’approcha de Vienne et frôla sa joue de ses lèvres puis elle entra dans sa chambre.

Vienne resta quelques secondes, immobile, devant la porte close de son amie. Puis en poussant un petit soupir, elle se retira dans sa chambre.


*


Vienne n’arrivait pas à dormir.

Allongée sur son lit, elle fixait le plafond. Elle aurait volontiers fumé cigarette sur cigarette pour occuper sa nuit. Mais elle n’osait pas le faire.

Elle n’arrivait pas à dormir. Parce qu’elle n’arrivait pas à trouver l’oubli. L’oubli des sentiments qui occupaient son coeur et son esprit. L’oubli du désir qui étreignait son corps.

L’oubli d’Eva.

Elle pensait. Comment l’oublier alors qu’une simple porte nous sépare ? Il me suffirait de tourner la clef pour la rejoindre. Et puis après ? Les magnifiques yeux bleus se poseraient sur moi. Étonnés, incrédules, effrayés peut-être... Jamais je n’oserai faire les gestes dont je rêve. L’enlacer, l’embrasser, la caresser, l’aimer.

Elle savait bien qu’elle n’oserait jamais. Car elle avait trop peur d’une réaction de rejet. De perdre cette amitié qui lui était devenue indispensable, essentielle, vitale...

Alors elle décida de se montrer ferme. Je ne dois plus penser à Eva comme à une amante. Seulement comme à la meilleure amie que j’ai jamais eue. Et... la plus désirable. Non, non. Je ne dois plus voir son visage si doux... son corps si... Ô mon Dieu, il faut que je la chasse de mon esprit !!!


*


Vienne se leva brusquement de son lit. Elle marcha vers la fenêtre et l’ouvrit. Le jardin était silencieux.

Elle espérait que l’air frais de la nuit la sortirait de ce songe qu’elle faisait toute éveillée. Elle et Eva. Eva et elle.

Mais c’était peine perdue. Elle n’arrivait pas à extirper cette idée fixe de son cerveau. Eva. Eva.

Alors, elle cessa de lutter et se  dirigea vers la porte qui la séparait de la jeune femme, déjà tant aimée.

Lentement, elle abaissa la poignée pour ouvrir cette porte qui était l’ultime rempart à son désir. Tant pis !! Peu importaient les conséquences !! Il fallait qu’elle calme la faim quelle avait d’elle !!

Elle s’apprêtait à la rejoindre, quand, tout à coup,  dans un dernier sursaut, elle renonça et laissa retomber sa main.


*


Elle revint en titubant vers son lit.

Soudain, elle entendit un bruit provenant de la chambre d’Eva. Si léger qu’elle crut s’être trompée.

Elle s’approcha de nouveau de la porte. Mais non. Elle ne se trompait pas. On entendait distinctement un gémissement... Puis un autre... et un autre encore...

Elle resta quelques secondes interloquée. Elle souffre.  Elle pleure. Serait-elle malade ? Je dois intervenir... Je le dois...
Elle n’hésita plus, Elle ouvrit la porte et pénétra dans la chambre d’Eva.

Elle aperçut la jeune femme endormie. Elle s’agitait dans son lit, écartant le drap puis le ramenant sur elle en un geste désordonné. Elle gémissait et pleurait.

Vienne comprit qu’Eva dormait encore et qu’elle rêvait. Mais que ce rêve était si sombre, si terrible que son corps luttait pour lui échapper.

Elle s’approcha du lit et s’assit à côté d’elle. Elle la saisit par les épaules et la secoua doucement pour qu’elle reprenne ses esprits.

- Eva, Eva...  Réveillez-vous... Réveillez-vous, ma chérie...
Elle se mordit les lèvres. Elle avait laissé échapper ces deux petits mots tendres qui allaient bien au-delà de l’amitié. Eva m’a-t-elle entendue ?
Lentement Eva sortit des brumes du sommeil. Elle toucha son visage mouillé de larmes. Étonnée, elle regarda Vienne.

- Que se passe-t-il ?
- Vous avez fait un cauchemar Eva. De ma chambre je vous ai entendue gémir et pleurer. Alors je suis venue pour vous aider...
- Un cauchemar ? Oui, je me souviens à présent...
- Ce devait être terrible pour que vous soyez si bouleversée...
- Oui, c’était terrible... J’ai vu... Des soldats, une bataille... Et puis, un corps blessé, ensanglanté... Il perdait son sang, tout son sang... Et je ne pouvais rien faire pour l’aider... pour le sauver... Je me mettais à trembler de désespoir et de chagrin...

- Un corps ? Celui de Paul... votre époux...
- Non Vienne. Ce n’était pas Paul... c’était... c’était vous...
- Moi ? Vous avez rêvé de... moi ?
- Oui. De vous... Toutes les nuits depuis que nous nous connaissons mieux, je vous vois dans mes rêves... Je vous vois blessée... Et j’ai peur... peur que ces rêves effrayants se réalisent...
- Vous avez peur pour moi Eva ?...
- Oui Vienne. J’ai peur pour vous... Et... j’ai peur de vous perdre...
Vienne avait toujours pensé que l’expression “sentir son coeur fondre” était stupidement exagérée. Mais à présent, elle en comprenait tout le sens. Car c’est exactement ce qu’elle ressentait...

Alors sans plus réfléchir, elle serra Eva contre elle et, la joue contre la sienne, elle murmura.

- Vous avez peur de me perdre ? Ô Eva... Vous ne me perdrez pas. Jamais. J’ai mille fois plus de raisons de vivre à présent... Depuis que je vous ai rencontrée... Je ferai tout pour que vous n’ayez plus cet affreux cauchemar...


*

Elle la tenait contre elle. Les lèvres d’Eva étaient si près des siennes qu’elles s’étaient frôlées.

Et pour la première fois, Vienne sentait ce corps doux et chaud abandonné contre le sien.

Il lui suffisait de faire de simples gestes. Prendre sa bouche. La caresser. Elle savait qu’Eva se donnerait. Comme l’avaient fait toutes celles qu’elle avait aimées.

Mais elle ne voulait pas d’une telle conquête. Obtenue sur une femme apeurée. Dans une chambre d’enfant. Alors qu’il y a quelques heures à peine, Eva lui racontait sa rencontre avec Paul et leur mariage.

Elle se souvenait de ce qu’Eva lui avait dit. De la délicatesse de Paul. Des jours parfaits qu’ils avaient vécus ensemble.

C’était ça qu’elle voulait vivre avec Eva. La perfection. Et bien plus encore...

Alors, au prix d’un effort presque surhumain, elle réfréna ses désirs.

Doucement, elle l’écarta d’elle et la reposa sur le lit.

- Oui, Eva quand cette guerre sera terminée... Quand vous aurez pris l’habitude d’être en sécurité... Alors vous cesserez de faire ce rêve...
- Si vous êtes là... près de moi, Vienne...
- Je sera là... Toujours... Je vous le promets Eva... Ça va mieux ? Vous êtes rassurée ? Vous allez dormir tranquillement à présent...
- Je dormirais mieux si vous restez à côté de moi...
- D’accord, faites-moi une petite place.
Elles s’allongèrent l’une près de l’autre, la tête posée sur le même oreiller.

Avant de s’endormir, Vienne pensa que c’était la deuxième nuit qu’elles passaient ensemble. Et que cette chambre était plus confortable que le métro de Paris.


Fin de la deuxième partie


*


Les aventures de Vienne et Eva
 continuent dans un autre récit,
 L’amour et rien d’autre.


*


J’ai créé une nouvelle rubrique :
 les portraits d’Eva.


*

52 commentaires:

  1. J'aime tellement ce récit que je n'arrive même plus à le commenter.

    Donc je vais rester sobre. J'adore ce récit.

    Merci Gustave.

    Béa;

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  2. La suite est de plus en plus captivante, avec l'arrivée de cette Tamara... Vivement la suite.

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  3. Allons bon Béa, tu n'arrives plus à commenter Esquisses !!! Quelle misère !!!!

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  4. Merci Rose. Mais l'époque est si captivante...

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  5. Toujours aussi passionnante et délicieuse cette suite.
    J'adore ces deux héroïnes et ce récit.
    Merci infiniment Gustave

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  6. Merci Stef. Je suis ravie que ce récit te plaise. Vienne et Eva se cherchent encore et c'est ça qui rend ce récit si agréable à écrire...

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  7. mais quelle imagination narrative, je suis épatée !

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  8. Mais quelle imagination narrative ! je suis épatée

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  9. Le personnage de Tamara est pittoresque et attachant et les illustrations très bien choisies.

    Je crois que Gustave projette de nous faire découvrir un nouveau pays.

    Quant à nos héroïnes, elles progressent...

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  10. Je suis un peu comme béa...je n'ai plus trop de mots. Je trouve que tu retranscris à merveille l'époque et son contexte historique...on s'y croirait...et je ne parle pas des sentiments...

    C'est exquis. Merci Gustave.

    Marie Pierre

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  11. Consoeurs blogueuses d'Esprit de Femmes et d'Artémisia, je vous souhaite la bienvenue sur réCits et nouVelles. Merci infiniment.

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  12. En effet Oscar. J'ai bien l'intention de faire voyager Vienne et Eva.

    J'ai aussi envie d'illustrer mes récits. Même ceux qui ont été publiés il y a plusieurs mois comme Big Apple.

    Merci Oscar. A bientôt

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  13. Je suis vraiment heureuse que Vienne et Eva te plaise Marie-Pierre. J'avais un peu peur que cette époque si troublée rebute mes lecteurs. Mais vos réactions sont vraiment un encouragement. Alors merci.

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  14. This article was extremely interesting, especially since I was searching for thoughts on this subject last Thursday.

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  15. Une vraie plongée dans le quotidien des Parisiens pendant la grande guerre...et puis Vienne et Eva, qui tout doucement continuent de se rapprocher...J'aime !

    Merci Gustave

    Marie Pierre

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  16. Très chère Gustave je vais essayer de trouver mes mots parce que "Tu le vaux bien".

    Je vais débuter en disant une infamie (ça commence bien): La Grosse Bertha m'est sympathique! Elle réunit nos héroïnes pour leur première nuit....sur un banc.... Mais c'est mieux que rien!

    Que de tendresse et d'amour contenu face à l'horreur de la guerre. J'aime beaucoup ce paradoxe.

    Merci, merci et merci.

    Béa.

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  17. Gustave saupoudre avec talent les occasions de rapprochement de nos héroïnes.

    Bravo pour le choix des photographies qui alternent avec le récit.

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  18. Subtilement amenée cette révélation à Eva avec ce beau tableau. Maintenant Eva sait...hâte de voir comment tu vas faire évoluer les choses.

    Merci Gustave.

    Marie Pierre

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  19. L'impatience d'Eva est absolument charmante, j'ai l'impression que n'importe quel prétexte est bon pour la rejoindre...Elle serait capable d'inventer que le Zouave du Pont de L'Alma marche sur l'eau pour justifier sa visite!

    Délicieux, absolument délicieux.

    Le choix de tes illustrations est toujours si juste, ce tableau de Modigliani est une pure merveille.

    Merci.

    Béa.

    Ps: Génial tes photomontages de Vienne/Alex.

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  20. La description de la maison de Vienne donne vraiment envie de vivre dans ce havre paisible, à l'abri des tumultes du monde, un peu comme dans une parenthèse enchantée et les illustrations toujours bien choisies.

    C'est sans rapport avec l'intrigue, mais les petits pingouins sont très réjouissants.

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  21. Contente d'en savoir un peu plus sur la vie de Vienne, quelle belle histoire. Merci.

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  22. Encore un régal cette suite, avec Vienne qui se livre un peu en parlant de sa famille....

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  23. Je trouve que le huit mars, journée de la femme, est un beau jour pour poster un commentaire.

    Ton récit est un hymne à la femme.

    Vienne se dévoile peu à peu, pudiquement, c'est encore une fois absolument charmant.

    Merci.

    Béa.

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  24. Des commentaires qui ont suivi la représentation de "Parade" à la construction du CHICAGO moderne... Le récit est décidément fort bien documenté et très riche.

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  25. Eva doit être une adepte du barbecue car elle a un don certain pour mettre Vienne sur le grill!!!!

    Cette découverte, l'une de l'autre, est toujours délicieuse et tellement tendre.

    Merci.

    Béa.

    Ps: Tes illustrations sont toujours très bien choisies.

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  26. On se laisse emporter par le récit dans le récit.

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  27. Le quasi monologue d'Eva est très révélateur de cette époque tourmentée. Les amoureux écourtaient leurs fiançailles, pressés par la guerre, ils conjuguaient l'amour au présent, n'osant pas parler d'avenir.

    C'est remarquablement raconté, avec force et simplicité. Vienne, compréhensive et cependant taraudée par la jalousie. Tout est juste et parfait.

    Merci.

    Béa.

    Ps: j'aime toujours autant tes illustrations!

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  28. Merci Béa. Mais je n'ai pas grand mérite. Cette époque était d'une telle richesse. Drames et émotions. Mais aussi bouleversements historiques, découvertes...

    Si cette image n'était pas tragique, surtout aujourd'hui, je dirais qu'il suffit de se laisser porter par cette vague. Et puis, il y a tous ces fabuleux artistes auxquels j'ai emprunté leurs oeuvres.

    Enfin, il y a Alex et Rachel qui prêtent leurs traits à mes personnages. Et que j'ai découvertes grâce à toi. Alors merci à toi Béa.

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  29. Et bien on en sait un peu plus sur nos deux héroïnes. J'espère que leurs souvenirs les rapprocheront de plus en plus. Merci Gustave.

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  30. Magnifique suite très émouvante et superbe oeuvre de MONET, qui nous transporte à l'hôtel des Roches Noires. J'apprécie beaucoup les illustrations qui ponctuent le récit.

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  31. Je me répète peut-être mais j'adore ton récit. On a vraiment l'impression d'y être, de plonger dans cette époque si troublée et tragique où les destins basculent au grès des évènements historiques.

    Et à la lecture du récit de leurs vies, on s'attache encore plus aux personnages de Vienne et Eva. Et merci d'agrémenter ton texte de ces belles illustrations.

    Merci Gustave.

    Marie Pierre

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  32. Marie-Pierre, j'adore quand tu te répètes. Surtout n'hésite pas à te répéter souvent.

    C'est vrai que leurs souvenirs sont cruels, Rose. Mais leur avenir sera plus... gai.

    Moi aussi, Oscar, j'adore cette oeuvre de Monet. Elle a des petits airs de vacances à la mer qui se marie très bien avec le premier jour du printemps.

    A toutes merci pour votre gentillesse et vos encouragements.

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  33. Absolument délicieuse cette idée de cadeau ( très jolie montre).

    Elles n'osent toujours pas se dévoiler, c'est ce qui les rends encore plus attachantes. L'impatience soupoudrée d'une tendre mélancolie pour Vienne, l'inconnu, le vertige, pour Eva. Cocktail explosif, "le monde entier fait boum, quand le coeur fait Boum-Boum".

    Merci.

    Béa.

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  34. Eva analyse clairement la cause de son trouble, sans que cela provoque la moindre gêne. Son attirance pour Vienne paraît tellement aller de soi...

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  35. Toujours à se chercher, à espèrer... très belle histoire. Merci.

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  36. Quelle délicate attention d'Eva avec cette montre.
    Toutes deux sont toujours bien songeuses après leurs rencontres...
    Quand oseront elles enfin se déclarer leurs sentiments!?
    Hâte de lire le prochain épisode avec leur visite dans la magnifique propriété de Monet, à Giverny.
    Merci Gustave

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  37. J'aime beaucoup cette évocation de leurs sentiments réciproques, leurs doutes, leurs questions, leurs troubles à l'une et à l'autre...

    Vivement la suite !

    Merci Gustave

    Marie Pierre

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  38. Nous nous promenons avec Eva et vienne,que de paysages et de lieux s'offrent à notre imagination, de plus tu rends hommage aux fabuleux artistes de cette époque....

    Le flirt charmant des deux héroïnes, des toiles de Maîtres et des paysages grandioses... Que demander de plus? Rien!

    Merci.

    Béa.

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  39. Toujours aussi captivant, merci Gustave.

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  40. Bien joli chapitre encore, avec leur survol de bien beaux paysages, l'allusion de Vienne et leur arrivée dans le jardin d'Eden de Claude Monet...
    Je me réjouis déjà de la suite
    Merci Gustave

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  41. La vue que l'on découvre de l'avion piloté par Vienne nous offre une parenthèse de sérénité dans ces temps si troublés.

    A la mention des vaches dans le pré, on s'attendrait à voir surgir un tableau de BOUDIN.

    Bravo pour la magnifique photographie d'Eva en aviatrice.

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  42. Le survol de Versailles doit être grandiose, j'essaye d'imaginer ! Quel magnifique ballade tu nous offres là Gustave, et quelle belle destination que la maison et le jardin de Claude Monet...

    Et j'aime beaucoup le portrait d'Eva, il est vraiment très réussi.

    Merci encore et toujours.

    Marie Pierre

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  43. Merci infiniment. J'avais peur que vous trouviez ce photomontage ridicule.

    Il faut dire que le casque de cuir et les grosses lunettes de vol, ça ne va pas à tout le monde.

    Mais cette actrice est incroyable. Elle reste belle, féminine et élégante dans toutes les tenues.

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  44. Ahhhh j'y croyais moi à ce baiser au milieu de ces deux merveilleux jardins, bientôt j'espère lol. Merci Gustave.

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  45. La description de ce jardin est un véritable enchantement. Un seul reproche...Les galettes! C'est malin, elles ont l'air tellement appétissantes que j'ai une faim de loup!

    Que vois-je, elles vont passer la nuit dans une auberge? Tic tac tic tac....

    Merci.

    Béa.

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  46. Les métaphores militaires utilisées sont-elles un discret rappel de la guerre que ce magnifique jardin nous a fait totalement oublier ?

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  47. Quelle délicieuse suite dans ce jardin d'Eden, avec les couleurs, les plantes, les fleurs, l'eau, et ce baiser encore timide; tout y est pour nous faire rêver...
    (J'apprécie beaucoup Monet et cette visite de Giverny est un pur enchantement, qui me donne encore plus envie de le découvrir.)

    Merci infiniment Gustave

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  48. J'aime la délicatesse de Vienne et son esprit chevaleresque.

    Les peurs d'Eva...Je fonds littéralement sur place, je suis une flaque, une flaque certes mais je continue d'écrire le com!

    C'est parfait Gustave, si joliment écrit, si tendre...

    Merci.

    Béa.

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  49. Délicieuse et pleine d'émotions cette suite, avec le cauchemar d'Eva et le tendre réconfort de Vienne...
    Les deux jeunes femmes sont plus proches que jamais mais Vienne patiente encore avec beaucoup de délicatesse.

    Merci infiniment Gustave et bonnes vacances !

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  50. Très touchante cette suite, toute en délicatesse et en douceur. J'aime beaucoup.

    Et c'est toujours si bien écrit...

    Merci Gustave, profites bien de cette petite pause.

    Marie Pierre

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  51. L'orage, bienvenu en l'occurrence, rapproche les deux jeunes femmes en leur laissant entrevoir que leurs sentiments sont réciproques. Mais une fois de plus, Gustave ménage le suspense en reportant, délicatesse de Vienne oblige, leur révélation.

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